Tina Arena, "Platine", n°70 du mois d'avril 2000.

 

Tina Arena est amoureuse de la France. Et notre pays le lui rend bien, à en croire l'accueil réservé à son album In Deep, écoulé à plus de 600.000 exemplaires, grâce au tiercé gagnant I Want to Spend my Lifetime Loving You, chanson du Masque de Zorro, Aller plus haut et Les trois cloches. Avant d'aller défendre les couleurs de la comédie musicale française Notre-Dame de Paris à Londres, la petite Australienne qui monte, qui monte... a accordé sa toute dernière interview parisienne à Platine. Good luck Esmeralda et à bientôt !

Quel souvenir gardes-tu de la petite Tina, née en 1968 à Melbourne en Australie ?

J'ai du mal à rassembler des souvenirs précis de cette époque. J'étais une petite fille plutôt heureuse... Ce dont je me souviens de façon certaine, c'est que j'adorais les chanteurs : Diana Ross, Stevie Wonder, Marvin Gane, Led Zeppelin, Quincy Jones, Freddy Mercury, Elton John... J'étais avant tout sensible aux voix et aux mélodies, ce qui m'a attiré vers des artistes d'horizons très différents.

Comment a commencé ta carrière australienne ?

A l'âge de six ans, j'ai fait ma première apparition un samedi soir lors d'un show télé australien, dans lequel j'ai chanté et dansé devant des millions de personnes. Mon professeur de chant connaissait Johnny Young, le présentateur de cette émission qui mettait en compétition huit enfants, dont quatre filles et quatre garçons, dans des catégories artistiques différentes : la chanson, la danse, la comédie... Un peu comme Graines de stars chez vous. Elle lui a parlé de moi et il a accepté de me programmer dans son show. Je suis passée quatre fois, sur lesquelles j'ai gagné trois fois. Après mon quatrième passage, l'animateur a appelé mes parents pour leur demander s'ils m'autorisaient à entrer dans l'équipe de l'émission comme co-animatrice. A neuf ans, j'ai enregistré une chanson sur un album, en duo avec mon partenaire dans le show télé, John Bowles qui, lui, en avait dix : cela s'appelait Tiny Tina and little John. Par la suite, j'ai grandi en public. J'ai eu une enfance publique en quelque sorte.

As-tu le sentiment qu'on t'a plus ou moins volé ton enfance ?

Non, je ne peux pas dire que je n'ai pas eu d'enfance. Il y a certainement des choses que je n'ai pas vécues comme les autres enfants mais je n'ai aucun regret.

Quel effet cela te fait-il de te revoir à l'époque de ton premier album Strong as Steal, lookée comme Madonna à ses débuts ?

Cela me donne vraiment envie de vomir ! Grandir peut s'avérer douloureux parfois, tu sais (rires) ! Cela n'a pas toujours été facile pour moi d'apprendre à te connaître. Avec le recul, je me dis que je n'avais certainement pas assez confiance en moi pour m'habiller comme cela. Au fond, j'étais comme toutes les adolescentes : une victime de l'image. Et puis, c'est l'époque qui voulait ça...

A la sortie de ton deuxième album Don't Ask (1995), qu'est-ce qui t'a motivée à partir à la conquète de la France ?

Je devais être folle, n'est-ce pas (rires) ? j'ai été invitée et l'idée de venir chanter en France m'a beaucoup excitée car ma famille est d'origine italienne et française, tant du côté de mon père que de ma mère. Le frère de mon père, aujourd'hui décédé, a longtemps vécu à Tourcoing. Enfant, j'ai passé plusieurs mois en France, à tel point qu'à un moment, on a failli venir s'y installer. Je me rappelle en particulier de ma première télé ici : c'était dans Le monde est à vous avec Jacques Martin. J'y chantais Chains. J'en garde un souvenir extraordinaire. Je crois même que j'étais revenue une deuxième fois...

Tu as enregistré I Want to Spend y Lifetime Loving You, générique du film Le masque de Zorro en duo avec Marc Anthony. Cette chanson t'a-t-elle ouvert des portes aux Etats-Unis ?

Très franchement, je ne pense qu'elle ait changé grand chose pour moi aux Etats-Unis, à la différence de l'Europe où le succès de cette chanson m'a vraiment propulsée. Je croyais pourtant qu'elle aurait rencontré un succès beaucoup plus large aux Etats-Unis, mais sans doute était-elle trop "latino" ou méditerranéenne pour eux ! Le monde est immense, et on ne s'imagine pas que, très souvent, ce qui marche en Europe ne marche pas aux Etats-Unis et réciproquement. C'est difficile de prévoir où ça va fonctionner : ça dépend de tellement de facteurs... Le meilleur exemple, ce sont les films de Woody Allen qui marchent beaucoup mieux ici qu'aux Etats-Unis. Ou encore celui des Backstreet Boys qui ont explosé en Europe, où ils avaient vendu plus de dix millions de disques bien avant de marcher aux Etats-Unis.

Comment t'es-tu retrouvée à chanter No More Tears/Enough is enough en duo avec Donna Summers (cf. Live More, Encore, Epic 1999)

Toute petite déjà, je l'adorais... Depuis l'âge de sept ans, j'ai véritablement grandi avec ses chansons. C'était une occasion formidable pour moi de chanter en duo avec elle. Cela peut paraître incroyable, mais je ne l'ai rencontrée que 24 heures avant d'enregistrer la chanson. C'est elle-même et Lee Chesnut, un directeur artistique de chez Epic-Sony Music à New York, qui ont eu cette idée et m'ont demander de participer à son concert. Donna est une femme extraordinaire et j'étais très fière de chanter avec elle : une expérience fantastique, comme il en arrive qu'une fois dans sa vie ! cela fait partie de mes rencontres magiques avec des artistes que j'adore, comme Julio Iglesias ou les Bee Gees, avec lesquels j'ai eu la chance de chanter en octobre 1998 au stade de Wembley.

Pourquoi ton nouvel album In Deep (1998) est-il sorti sous tellement de presages différents dans le monde, mais également en France ?

Je pense que quand on développe une carrière, on est amenés par approches successives à mieux comprendre les goûts du public. Cela fait partie de l'apprentissage de son métier. Ceci dit, je ne suis pas du tout satisfaite du fait que In Deep soit sorti avec autant de tracklistings différents. Les Américains avaient une certaine idée de l'album, différente de celle des Européens. C'est très dérangeant pour moi, et je t'assure que je veillerai à ce que cela ne se reproduise plus à l'avenir. Je pense que quand on enregistre un album dans une approche purement artistique, il faut respecter sa cohérence. C'est un sujet très difficile et sensible pour moi, car j'ai des idées arrêtées sur ce que j'ai envie de faire. Je comprends que les marchés sont différents : c'est la vie (en français) ! Mais je n'ai plus l'intention de me laisser faire, et de me retrouver dans une situation aussi perturbante. La prochaine fois, il n'y aura qu'un seul et unique album.

Complètement en anglais ?

Non, car je dois reconnaître que l'accueil du public français a été si fantastique, que cet album contiendra certainement deux ou trois chansons en Français. J'y tiens beaucoup, car je n'oublierai jamais le soutien et le respect du public français, même si je reste une artiste anglo-saxonne. J'ai simplement la chance d'être bilingue : je le prends comme un cadeau. Mais encore une fois, l'unité d'un album est très importante à mes yeux.

Pourquoi avoir alors rajouté Chains, extrait de Don't Ask, en fon de tracklisting de In Deep ?

Je considérais que cette chanson n'avait pas eu tous le succès qu'elle méritait. J'en étais un peu attristée. Et je voulais aussi donner au public un petit souvenir de l'époque où l'histoire de Tina Arena a réellement commencé.

Comment as-tu rencontré Robert Goldman (alias J. Kapler), le frère de Jean-Jacques, qui a signé pour toi Aller plus haut ?

Il m'avait vu à la télé dans Tapis Rouge chanter la chanson du Masque de Zorro. Il m'a appelé en disant qu'il avait écrit une chanson pour moi à la suite de cette émission. C'était la première fois qu'il écrivait une chanson ! Nous nous sommes rencontrés et j'ai enregistré cette chanson que j'ai adorée. Tout simplement.

Le deuxième titre en français, Les trois cloches est une ancienne chanson, probablement inconnue de ton jeune public dans sa version originale par Piaf et Les Compagnons de la Chanson...

Moi, je la connaissais ! Edith Piaf est un symbole et un véritable modèle pour moi. C'est une des toutes premières chanteuses à avoir fait une carrière au niveau mondial. Elle donnait l'image de quelqu'un de très fort, et qui avait des choses à dire. C'était avant tout un être humain d'une grande sincérité. Je l'aime beaucoup, car pour moi, elle était très moderne, presqu'à l' "avant-garde" (en français) ! C'est ce que je réponds à ceux qui s'étonnent que je reprenne une de ses chansons : je suis très fière de chanter une grande chanson, créée par une si grande chanteuse et femme. C'est tout. Malheureusement beaucoup de jeunes ne la connaissent pas : l'ignorance conduit souvent à la bêtise, tu sais !

Pourquoi avoir écourté la chanson de son dernier couplet un peu pathétique ?

Je préférais rester sur une note positive. La chanson parle de choses déjà suffisamment fortes et réalistes comme ça : la vie, la mort, le mariage... Et puis, cela me permettait de régler le problème de la durée de la chanson, qui aurait été trop longue dans sa version initiale pour passer à la radio. Il paraît qu'au-delà de cinq minutes, les gens s'endorment... (rires).

Comment as-tu été choisie pour incarner Esméralda dans la version anglaise de Notre-Dame de Paris (à Londres, à partir du 23 mai 2000) ?

Luc Plamandon, Richard Cocciante et Charles Talar, le producteur exécutif, m'ont choisie d'un commun accord. J'ai pris le temps de la réflexion avant de donner mon accord. C'était une décision trop importante à mes yeux pour me décider à la légère.

Comment te prépares-tu au rôle ?

Je suis en train de lire le roman de Victor Hugo, mais je n'en suis arrivée qu'à la moitié (rires) ! C'est un livre très complexe dans sa version anglaise, parce qu'il emploie un vocabulaire assez ancien. Certains mots sont mêmes incompréhensibles !

Et physiquement ? C'est éprouvant d'être sur scène tous les soirs...

Franchement, en comparaison avec d'autres rôles que j'ai pu tenir au théâtre, c'est un rôle relativement facile. De façon générale, je ne m'astreins pas à un entraînement draconien avant de monter sur scène. Je n'ai commencé à me préparer physiquement en faisant un peu de gymnastique que la semaine dernière : ça me tue d'ailleurs ! (rires)

As-tu rencontré Hélène Ségara qui a été écartée de la nouvelle distribution ? Eprouves-tu de la gêne ou de la culpabilité à son égard en reprenant le rôle d'Esméralda ?

Pas du tout. J'ai rencontré Hélène, qui a eu le grand privilège de créer le rôle. Cela a véritablement propulsé sa carrière. Je reprends le rôle en Anglais et comme nous avons deux personnalités complètement différentes, j'imagine que j'en donnerai une interprétation très différente. Il n'y a aucun problème. D'ailleurs, j'ai beaucoup de mal à concevoir la notion de jalousie sur le plan artistique. La jalousie est complètement étrangère à ma vie.

Sur l'album en anglais, Céline Dion interprète aussi Live for The One I Love (Vivre). C'est la porte ouverte aux comparaisons...

Oh tu sais, cela fait des années qu'on me compare à elle (rires) ! C'est une chanteuse tellement formidable que je me dis que cela pourrait être pire. En plus, c'est une femme admirable : j'attache beaucoup d'importance à l'esprit et à la personnalité des chanteuses. Une belle âme rend leur talent bien plus profond. Céline a une relation d'amitié avec Luc Plamandon depuis tellement d'années, que je n'avais pas le droit de dore quoi que ce soit sur cette envie de Luc. Chacune de nous donne une interprétation très personnelle de cette chanson et c'est bien ainsi.

Un amour à Paris, un spectacle à Londres, une carrière internationale : ce n'est pas facile à gérer. Où vis-tu actuellement ?

Je suis résidente de l'univers. Je vis beaucoup à l'hôtel. J'ai une maison aux Etats-Unis et une autre chez moi, en Australie. J'ai besoin d'y retourner régulièrement.

Il paraît qu'en Australie, tu es une idole Gay. Comment l'interprètes-tu ?

C'est très difficile à expliquer. Peut-être parce que les Gays apprécient les fortes personnalités, les gens honnêtes et ayant le sens de l'humour. Je ne me suis jamais prise au sérieux. J'ai un très bon contact avec cette communauté et je réponds toujours avec plaisir à son invitation au festival Gay et Lesbien de Sydney.

Comment expliques-tu que la France t'ait réservé un meilleur accueil que le reste de l'Europe, de l'Angleterre à l'Italie ?

Les français n'aiment pas la merde (rires) ! Ils sont attachés à la voix, à la qualité de la personne. Peut-être aussi parce que je suis latine... C'est un privilège, car ce n'est pas si facile de plaire aux français. Si un artiste étranger débarque avec l'intention de les tromper, c'est une grave erreur. Ce n'est pas cool (en français) ! Il y a très peu d'endroits au monde où les gens sont aussi fidèles et attachés à l'art, sous toutes ses formes. Rien que pour cela, vive la France ! Mon succès dans ce pays merveilleux me laisse assez rêveuse... Je repense à ces moments de mon enfance où nous venions visiter notre famille à Tourcoing. Je me demande aussi si j'aurais fait carrière en France si nous nous étions installés ici. Le destin est ironique : il a voulu que je revienne des années plus tard, en tant qu'artiste étrangère, et que le public m'accepte. C'est très curieux... Je ne prends pas trop le temps de réfléchir à ces choses-là, mais quand j'y pense, cela me fait... peur !

Comment as-tu réagi à tes nominations aux NRJ Awards et aux Victoires de la musique dans la catégorie révélation ?

Pour te dire la vérité, j'étais très surprise.

Etre une star en France, cela signifie aussi faire la une de Voici avec son nouveau boyfriend, Jeremy (le fils de David Mc Neil)... Comment l'as-tu vécu ?

C'est à ce moment-là que j'ai vraiment eu besoin de faire appel à mon sens de l'humour (rires) !

 

Propos recueilli le 25 février 2000.

 

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